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Par monregime le 18 Février 2012 à 20:02
Extrait de l'Yonne républicaine
Entretien réalisé par Gérard DELORME 30.04.02 à 06h01
Entretien avec le tortionnaire sadique d’Appoigny Claude Dunand : « Je n’ai rien à voir avec Émile Louis »
Remis en liberté après 16 ans de prison, le sadique d’Appoigny estime avoir payé sa dette à la société. Il veut être blanchi par rapport aux « disparues de l’Yonne » et « consacrer le reste de son existence à faire du bien. »
Claude Dunand sort de sa réserve. Le sadique tortionnaire d’Appoigny condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en janvier 1991 pour viols et complicité, séquestrations et tortures, s’était pourtant engagé à garder le silence pour ne pas nuire davantage à ses victimes. A ne pas remuer le couteau dans une plaie encore béante si l’on en croit les déclarations récentes de Huguette, enchaînée, torturée et violée fin 1983 dans le pavillon de l’horreur que le couple Dunand louait à Appoigny dans le quartier des Sureaux.
Dans Le Nouvel Observateur de la semaine dernière, Huguette M. alimente à nouveau la prose imaginative d’Elsa Vigoureux. « Il y a trop de protections dans cette affaire… Ils sont tous véreux à Auxerre ». Propos suffisants pour que notre consœur fasse l’amalgame entre l’affaire Dunand et l’affaire des disparues de l’Yonne. Et c’est cet amalgame qui contrarie aujourd’hui Claude Dunand et qui l’a amené à s’exprimer en exclusivité pour l’Yonne Républicaine.
« Je vis avec le remord et la honte »
En semi-liberté depuis juin 2001 puis en liberté conditionnelle sous astreinte depuis janvier 2002 « le bourreau d’Appoigny » n’a qu’une envie : se racheter et faire du bien autour de lui. « Je vis avec le remord, avec la honte de ce que j’ai fais. Je ne comprends pas comment j’en suis arrivé là », dit-il, comme pour s’excuser d’avoir sollicité cet entretien. « Je n’ai rien à voir avec Emile Louis et je n’ai jamais été associé à des crimes de sang », renchérit-il. Et c’est dans le but d’apporter un démenti à toutes ces rumeurs qu’il s’est adressé, le mois dernier, au juge d’application des peines du tribunal de Mulhouse.
« Je suis écrasé par des affirmations tendancieuses de toute la presse qui fait un amalgame entre l’affaire Emile Louis et la mienne… Je ne connais pas Emile Louis et je ne l’ai jamais rencontré… Ces accusations me causent préjudice : ma famille est choquée, ma seconde épouse a sollicité le divorce, je suis victime de représailles sur mes lieux de travail, j’ai perdu l’opportunité d’être visiteur de malades pour accompagner les personnes en fin de vie… »
Dunand s’était déjà adressé au juge en août 2001, peu après sa libération conditionnelle, pour dire que les victimes n’avaient rien à craindre de lui. « Je veux vivre plus discrètement, dans l’ombre, dans l’anonymat le plus complet et consacrer le restant de mon existence à faire le bien autour de moi, à soulager la détresse, à aider et secourir », écrivait-il au juge Christèle Herenguel.
Des propos proches de ceux tenus à Me Didier Seban, l’avocat de Huguette M. - qui se trouve aussi être l’avocat de l’Association de défense des handicapés de l’Yonne — dans un courrier daté du 3 mars dernier : « Je n’ai jamais eu d’esprit de vengeance et de rancœur. Je n’espère pas de pardon… Qu’on accepte simplement cet anonymat qui me permettra, pour les dix années qui me restent à vivre (environ) d’offrir cette existence au rachat de mes fautes en menant une vie exemplaire ».
Manifestement le message n’est pas passé jusqu’à Huguette horrifiée à l’idée que Dunand puisse remettre les pieds dans le département de l’Yonne (Le Nouvel Observateur).
Donner une autre image
Amaigri, sans moustache, le cheveu gris rabattu sur le front, le regard fuyant, Claude Dunand est à la fois nerveux, hésitant et prolixe. Pas d’appareil photo ! C’était la condition pour réaliser cet entretien de trois heures, quelque part entre Auxerre et Mulhouse.
Des photos de son fils avec qui il a rétabli des relations normales, de sa belle-fille et de son petit-fils; des lettres d’amour de sa seconde femme, D., qu’il rencontre en 1990 à Toucy peu après sa première sortie de prison et qui connaissait son passé pervers, autant de documents pour accréditer le changement de personnalité de cet homme de 68 ans. Car Dunand, prisonnier modèle tant à la maison d’arrêt d’Auxerre qu’à la Centrale d’Ensisheim, veut à tout prix démontrer qu’il n’a plus rien à voir avec le monstre qui avait défrayé la chronique judiciaire voici bientôt vingt ans.
Et de s’appuyer sur le rapport d’un médecin psychiatre, expert près la Cour d’appel de Colmar, peu avant sa mise en liberté (mars 2000) pour balayer la dangerosité qui en avait fait un criminel. « L’après-midi il s’entraîne au clavier pour jouer lors des messes ou des concerts au profit des Restos du cœur ou du Secours catholique. Il donne également des cours de musique à d’autres détenus… Il supporte bien l’incarcération, ne présente pas d’état dépressif majeur ni de troubles psychotiques évolutifs ou constitués ».
En juin 2001, après 16 ans de prison dont six en détention préventive, Claude Dunand connaîtra le régime de la semi-liberté, c’est à dire qu’il est assigné à résidence, placé sous contrôle judiciaire et qu’il passe ses nuits en prison. Régime de liberté assoupli depuis le 1er janvier dernier puisqu’il n’a plus de contraintes sinon de justifier un domicile dans l’Est de la France.
Claude Dunand pensait être sorti de ces années de cauchemar et pouvoir rembourser sa dette à la société. C’était compter sans « l’affaire des disparues de l’Yonne » et la surenchère médiatique. « A chaque fois que l’on fait un lien entre Emile Louis et Appoigny je suis montré du doigt et menacé de représailles. Je suis responsable d’un hôtel social où sont logés des hommes et des femmes en réinsertion et d’une équipe de forestiers qui sortent de l’univers carcéral. Après une émission télévisée, ils ont refusé de charger le camion et j’ai du expliquer mon histoire à toute l’équipe. Pour moi c’est affreux, c’est horrible ce que j’ai fais, mais il ne faut pas m’en mettre plus sur le dos. J’avais envie de faire une connerie pour retourner en prison. J’ai même appelé la directrice de la centrale à la rescousse ».
Sa première femme en accusation
Mais Dunand ne peut s’empêcher de recadrer l’entretien sur son histoire pour tenter de justifier ses actes sado-masochistes qui ont fait deux victimes, deux jeunes filles recrutées par petites annonces et qui présentaient la particularité d’être (aussi) des filles de l’assistance. « Il ne semble pas qu’il y ait de corrélation avec l’affaire des disparues de l’Yonne », avait indiqué le lieutenant-colonel Pattin, chargé de l’enquête après l’arrestation d’Emile Louis.
Aussi le tortionnaire d’Appoigny n’hésite-t-il pas à rendre responsable sa première femme, Monique Michaud (décédée en 1997) de cette vie dissolue qui a conduit le couple maudit devant la Cour d’assises de l’Yonne tandis que les gros bonnets parisiens et lyonnais, acteurs des soirées sado-masochistes n’ont dû leur liberté qu’au silence des Dunand.
« J’étais fou amoureux de ma femme, je ne voyais que par elle et elle me faisait passer par tout ce qu’elle voulait » claironne encore Claude Dunand.
« Je suis issu d’une famille bourgeoise — mes parents étaient professeurs agrégés au lycée Condorcet à Paris. Quand j’ai rencontré Monique, on avait 15 ans. On prenait le même métro entre Pereire et Saint-Lazare. C’était une très jolie femme. Elle avait un gros appétit sexuel. Le jour de notre mariage, elle a même flirté avec mon oncle. Un colonel! »
Les clubs de rencontres, à Paris, ont rapidement fait l’ordinaire de ce couple dévoyé. Quatre ans passés au Sénégal où il avait une place importante de cadre commercial n’ont pas remis le couple dans le droit chemin. « De retour à Paris, on a de nouveau fréquenté les clubs échangistes. Je voulais acheter une station-service. Finalement, Monique m’a convaincu d’acheter un bar, en Côte-d’Or, près de Seurre. C’est devenu rapidement une maison de passes. Elle m’a fais dérailler et son attitude m’avait rendu impuissant avec les autres femmes », confesse-t-il.
C’était nos « amusements »
Puis c’est la fuite en Normandie où Dunand travaille chez un concessionnaire en camions et l’arrivée dans l’Yonne fin 1979. Les filles de l’assistance du dossier Emile Louis ont déjà « fugué » depuis longtemps.
« Je n’avais plus un sou en poche et on a vécu rue Joubert à Auxerre dans une seule pièce avant de trouver un pavillon à Migennes. On ne connaissait rien de l’Yonne. On avait prévu d’aller dans le midi. Nos moyens ne nous le permettaient pas ». C’est aussi à cette période qu’elle lui aurait dit : « Je veux une esclave à mes pieds ». « En 1980 à Migennes, on a tenté de recruter une jeune femme qui avait accepté de venir “travailler” à la maison. Mais au dernier moment je l’ai raccompagnée à Auxerre. C’est l’époque où on fréquentait beaucoup les clubs sado-masochistes à Paris. Il n’y avait que des filles consentantes qui étaient payées. On les appelait nos “amusements”. On avait l’impression qu’il n’y avait pas d’interdit! » Une escalade dans l’horreur !
C’est l’arrivée à Appoigny en 1982 et la spirale infernale de la perversité qui débouche sur les actes criminels. Isabelle, une prostituée présentée à Dunand par un commerçant auxerrois, fut la première victime du pavillon d’Appoigny. Elle échappe aux atrocités subies fin 1983 par Huguette M. et Michaëlla P., prises au piège par une petite annonce.
« On ne savait pas qu’elles étaient de la DDASS », se défend encore aujourd’hui Claude Dunand qui refuse de revenir sur des faits jugés pour ne pas rappeler de mauvais souvenirs aux victimes. Tout au plus indique-t-il qu’Huguette n’était pas séquestrée et qu’il la dédommageait financièrement. « On l’emmenait partout, au restaurant, chez le pâtissier, faire les courses ; elle faisait le ménage sur le balcon. Elle aurait pu s’enfuir à tout moment ».
Faire chanter les gens
C’est ce qu’elle fit en janvier 1984, sa déposition au commissariat d’Auxerre mettant un terme aux agissements des pervers d’Appoigny.
« J’ai été arrêté cinq jours après son départ » souligne encore Claude Dunand. « J’aurai pu partir, tout faire disparaître. Je savais qu’on allait finir en prison. Je traînais le soir au dépôt. Je n’avais pas envie de rentrer. L’arrivée des gendarmes a été un vrai soulagement ».
Les témoignages recueillis lors du procès d’assises confondirent pourtant Dunand accusé de torture et d’actes de barbarie. Des sévices inqualifiables qu’il traîne encore comme un boulet.
Un vice de procédure, dans le cadre d’une interminable instruction menée par le juge Bourguignon, aboutit à sa mise en liberté provisoire début 1990. La Cour d’assises de l’Yonne le condamna à perpétuité en novembre 1991. Remis en liberté conditionnelle en juin 2001, Claude Dunand travaille bénévolement pour aider à la réinsertion d’anciens détenus. Il touche une retraite de 854 € par mois, somme sur laquelle il prélève 122 € pour indemniser ses victimes en liaison avec le fond de garantie.
« Le jour où on dira que je n’ai rien à voir avec Emile Louis, je pourrais me consacrer librement à rendre les gens plus heureux autour de moi » conclut Claude Dunand, impatient de retrouver un orgue dans une église pour accompagner la messe et faire chanter les gens.Entretien réalisé par Gérard DELORME
30.04.02 à 06h01
Les acteurs du dossier
Dunand et Emile Louis
« Je ne le connaissais pas et je ne l’ai jamais rencontré » affirme Claude Dunand. A la fin des années 1970, période des disparitions, Dunand vivait sur Paris et en Normandie. « L’Yonne, je n’y avais jamais mis les pieds. Jamais je n’ai fréquenté le bar, près des “Rapides de Bourgogne”. J’allais sur les quais à Auxerre ou au routier à Monéteau. C’est vrai que quand les policiers m’ont arrêté en janvier 1984, ils m’ont dit qu’il y avait des affaires pas très claires dans l’Yonne, sans jamais prononcer le nom d’Emile Louis ».
Dunand et le gendarme Jambert
« Je n’avais jamais entendu parler du gendarme Jambert. L’enquête me concernant avait été confiée à la P. J. C’est un amalgame supplémentaire autour de l’affaire des disparues de l’Yonne ».
Dans son rapport de synthèse tant décrié dans lequel le gendarme Jambert retrace six disparitions entre 1975 et 1979 et dans lequel le nom d’Emile Louis apparaît régulièrement, Claude Dunand n’est jamais cité. Ce procès-verbal est daté du 22 juin 1984. L’affaire d’Appoigny avait éclaté en janvier de la même année. Il aurait donc pu faire un lien.
Dunand, les notables et le carnet
« Les notables Auxerrois ne fréquentaient pas les soirées sado-masochistes. Les “clients” étaient des personnes importantes habituées aux clubs de rencontres. Surtout des Parisiens et quelques Lyonnais. Dans ces clubs là, on ne connaît que les prénoms. Il y avait des chefs d’entreprises, des chirurgiens, un homme politique nationalement connu, peut être des magistrats. Ce sont surtout des riches qui fréquentent ces soirées »,
Des noms, Dunand aurait pu en donner aux enquêteurs. Il a préféré se réfugier dans le silence. Quant au carnet noir, pièce à conviction, il n’aurait comporté que les adresses de clients professionnels et d’amis personnels ; un petit agenda sur lequel il inscrivait ses rendez-vous. « Ma femme en avait sans doute un aussi… Je n’ai jamais su ».
Toujours est-il que Dunand était suivi à la trace par ses compagnons de torture. « Trois jours après ma première sortie de prison, en 1990, j’ai eu un contact avec une personne qui me proposais une nouvelle identité, un billet d’avion pour le Sénégal et une forte somme d’argent. J’aurai pu m’échapper facilement ».
Dunand, Fritsch et Soisson
« Quand j’ai été libéré le 6 janvier 1990, je me suis retrouvé, à 20 heures, sur le trottoir de la prison d’Auxerre avec six gros cartons. Georges Fritsch, un visiteur de prison demeurant à Mézilles, est venu me recueillir. Il avait été prévenu de ma sortie par les gardiens. Il m’a d’abord logé chez lui puis dans un hôtel désaffecté à Toucy, qu’il avait racheté pour le compte de l’association “Fraternité Notre-Dame”, une association de réinsertion pour détenus. J’y ai effectué quelques travaux d’entretien et de peinture avant de connaître ma seconde femme, une fille de gendarme qui m’épousa pendant ma libération provisoire et le temps de retrouver du travail chez Ford, à Melun ».
Pour Claude Dunand, la somme d’argent évoquée dans son dossier n’a rien à voir avec sa mise en liberté. « Les 250 000 francs en bons du Trésor récupérés en banque par “la Fraternité Notre-Dame”, c’est tout simplement l’héritage laissé par ma mère décédée en 1987. D’ailleurs, je n’ai récupéré que 80 000 francs à la sortie ».
En ce qui concerne une éventuelle intervention de Jean-Pierre Soisson pour favoriser sa mise en liberté, Dunand est catégorique : « Je ne vois pas pourquoi Jean-Pierre Soisson se serait intéressé à moi. Les rapports que j’ai pu avoir avec la municipalité d’Auxerre se situaient au niveau de l’adjoint chargé “du matériel” ». Jean-Pierre Soisson, en revanche, connaissait Georges Fritsch, le visiteur de prison, puisqu’il était intervenu auprès du gardes des Sceaux de l’époque, Pierre Arpaillange, pour qu’il obtienne une subvention pour financer un chantier d’insertion à Saint-Fargeau..
Alors, connivence ou tout simplement amalgame pour alimenter la rumeur autour de dossiers dont on a du mal, aujourd’hui encore, a appréhender, tant les causes que les effets ?
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